« Mon chien est mort hier soir. »
Les yeux gonflés et plissés de la vieille dame se pose tristement sur la table massive en bois. Elle la fixe pendant quelques minutes avant de relever la tête lorsque la diseuse de bonnes aventures lui tend un mouchoir en tissu, un sourire doux et bienveillant au bord des lèvres.
« Gari qu’il s’appelait. » Reprend t-elle en retournant le sourire de la jeune femme. « Il a toujours été là pour moi, quand mon mari est mort d’une pneumonie et quand mes garçons sont partis à la guerre. Ils en s’ont jamais revenus ! » De nouveau, la vieille dame plonge son regard dans les reignures du bois.
« Je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire sans lui, ma vie n’a plus de sens ! » Au fond de la pièce, très petite étant donnée que les deux femmes sont dans une roulotte, un placard caché par de longs rideaux sombres renifle tristement. Le son est rapidement masqué par la chaise en bois de la belle Ada, qui grince contre le sol.
Sa main, aussi douce que froide attrape délicatement celle de la vieille femme. Son regard tendre et mélancolique redonne un peu de chaleur à celui de son interlocutrice qui ne peut s’empêcher de lui répondre par un sourire avant de s’exclamer :
« Allons Madame la Voyante, tirez-moi les cartes. Apportez-moi de bonnes nouvelles je vous en supplie ! »
Sans broncher, la dame en noir s’exécute. Ses longs doigts blancs aux ongles parfaitement limés tassent les cartes machinalement, les retournent, les tordent, les mélangent avant d’en déposer cinq devant la vieille dame. La lueur du jour visite un instant la pièce, illuminant la peau du cou d’Ada, dévoilé par son haut chignon tiré à quatre épingles et le col de sa robe en dentelle fine.
« Hmm, je vois pleins de bonnes choses madame Krec’h. » Son sourire s’étend sur ses joues pâles, ses grands yeux gris brillent. La vieille femme quant à elle, penche la tête d’un air interrogateur.
« Je ne vois pas ce qui peut bien se passer en ce moment pour moi… » Ada se redresse, reprend ses cartes et reprend : « Les cartes disent le contraire, je vois un événement surprenant dans les prochains jours, quelque chose auquel vous ne vous vous attendez vraiment pas. »
Une sorte de magie tout à fait naturelle illumine les yeux de la grand-mère, un sourire s’esquisse doucement, presque enfantin sur son visage.
« Couchez-vous tard à partir de ce soir, les bonnes nouvelles apparaissent souvent une fois le soleil couché ! » Murmura la jeune brune tout bas, comme si elle confiait un secret.

Rapidement, la vieille dame dépose une petite bourse de pièces et file hors de la roulotte. Ada soupire et entend de nouveau le placard derrière elle qui ronchonne.
« Allons Camélia, je vous trouve un peu dissipée aujourd’hui. » La porte du placard s’ouvre, Camélia l’ancienne gouvernante du Roi de Brugge apparaît dans sa longue robe brune, coifée d’un petit bonnet blanc laissant apparaître ses petits cheveux fins de la même couleur. Elle semble gênée, moulinant ses mains entre elles d’un air anxieux.
« Dame Ada, j’ai su dès les premières secondes ce qu’est votre plan pour ce soir. Je ne sais pas si c’est une bonne idée ! Vous allez vous faire attraper un de ces jours et on vous mettra sur un bûcher ! Vous savez qu’à Oxenfurt, ce ne sont pas des rigolos avec ces histoires… » La magicienne se lève et stoppe les mains de Camélia en les entourant des siennes. « Ne vous inquiétez donc pas, une fois que cette dame retrouve le sourire, nous quittons cette région pour de bon ! »



Sa robe était pleine de terre, heureusement que ce n’était pas un jour de blanc, pensa t-elle. Ada portait dans ses bras, un peu comme un nourrisson, le corps froid d’un vieux griffon au pelage gris. A sa ceinture était accroché une petite pelle, ses bottes étaient pleines de terre, le chien encore plus. Cette excursion n’était pas bien orchestrée comme souvent, pas d’apparat pour enjoliver le mythe de la Dame Blanche, car comme Camélia l’avait rappelé, « A Oxenfurt, ils ne rigolent pas avec ça ! »
Alors c’était en toute discrétion qu’elle alla déterrer l’animal pour lui redonner le souffle. Elle le mena jusqu’à la roulotte qu’elle avait caché dans les bois. Personne ne viendrait ici, c’était bien trop éloigné et, la nécromancienne avait entendu dire qu’un grand barde se produisait ce soir.
Les gens seraient bien trop occupés pour une balade dans les bois en pleine nuit.
La jeune femme prit le temps de déposer la pelle avant de disposer le cadavre entre deux buissons. Elle ne perdit pas de temps avant de murmurer les première incantations, qui firent virevolter son voile noir et ses cheveux délicatement. Une perle de sang commença à glisser le long de ses yeux, sa respiration était très lente, ses paroles posées, récitées comme un poème.

La cage thoracique du griffon reprend vie, ses pattes touffues pédales dans le vide comme s’il se réveillait d’un mauvais rêve. La Lune illumine l’animal, rendant son ombre quasi gigantesque sur l’arbre près duquel il est allongé. Une dernière incantation pour celler la chose est rapidement interrompue, un cri strident fait que le chien se relève à toute vitesse et file dans les bois.
Un peu comme un automatisme, Ada se retourne et d’un signe de la main, fait tomber dans les bras de Morphée la jeune femme qui courait dans l’autre direction.
Mais elle n’avait pas prévu ceci : un jeune homme brun, bien vêtu, lui faisait face et balabutia un timide bonsoir.
Ada retint sa respiration, sa tête se mis à penser très vite, à tout, à rien, à l’homme, au chien, à la fille, à Camélia.
« Bonsoir ! » S’exclama t-elle, pleine de bienveillance. « Excusez-moi de l’apparât, nous étions sur le point de faire une pause ici mais ce chien s’est glissé sous nos roues… J’ai eu peur qu’il ne soit mort sur le coup ! » Ses grands yeux de biches battent lentement, ses cheveux noirs sont fougueux, une pluie lourde commence à tomber. Elle réfléchit vite, son visage lui dit quelque chose, bien-sûr !
« Oh mais, vous… vous êtes le fameux barde qui se produisait ce soir ? Ou hier soir ? Oh, j’ai votre prénom sur le bout de la langue… » Elle sourit, un peu gênée, mais rapidement, la Ada sûre d’elle reprend le flambeau. « Ce n’est pas souvent que j’ai des gens connus par ici, allons rentrez, je vous offre le tirage de cartes ! A vous et… »
La jeune femme, étalée par terre, sous la pluie, ronfle nonchalamment.
« Mon Dieu, votre amie. Elle a dût se prendre les pieds dans les ronces… Camélia ! Sortez votre parapluie, une jeune femme aurait besoin d’être… raccompagnée ! » Ada, d’un air amusé ajoute tout bas : « Pas besoin d’être un magicien pour sentir que votre soirée fût… arrosée ? »
Camélia, emmitouflée dans un long manteau sort, un parapluie au dessus de la tête. Elle grimace en voyant le barde et file voir la jeune fille qui, d’un claquement de doigts discrêt se relève, vomit et gémit : « Qu’est-ce que je fais là ? ‘Faut que je rentre chez ma mère, j’veux pas être de corvée de nettoyage de l’étable… »
Camélia s’enfonce dans l’obscurité, une lampe éclairant son chemin, bras dessus-dessous avec Miridya qui n’aura aucun souvenir d’avant son réveil.
Ada, quant elle, pose délicatement sa main sur celle de Jaskier, l’encourageant à rentrer avec elle dans la roulotte. « Vous pouvez faire confiance en Camélia, ce n’est pas la première qu’elle ramène à sa mère. Maintenant… passons à nos cartes ? »

 

La roulotte avait une taille tout à fait normale, un peu grande vue de l’extérieur mais ce n’était rien comparé à l’intérieur. Biensûr, elle est magique et les pièces sont étrangement gigantesques. Après tout, Ada et sa comparse de voyage Camélia était vouée à errée de régions en régions, villes en villes pour ne pas se faire repérer. Même si le temps était passé et beaucoup avait oublié l’incident de la bataille de Brugge il y a douze ans, certains aimaient conter cette attaque Nilfgaardienne repoussée par une armée de morts au coin d’un feu. Beaucoup pensait la fameuse magicienne morte durant l’altercation, dévorée par ses créations démoniaques ou encore tuée durant sa fuite. Nilfgaard ne s’était jamais prononcé sur la-dite magicienne, mais eux, s’en souvenait et dans ces contrées, la bataille de Brugge était devenue une histoire de fantôme que l’on raconte aux enfants.
Attention aux mages.

Certains empereurs et rois avaient tentés de chercher la nécromancienne à maintes reprises en espérant poser la main sur l’arme vivante qu’elle était, en vain. Ada était un fantôme, errant de villes en villes, offrant le retour à la vie d’un être aimé pour les vivants en peine. Enfants, bébés, animaux, tout ce qui était plausible reprenait parfois vie miraculeusement.
Ada n’a jamais dit que c’était elle à personne, elle agit dans l’ombre, dans le silence, autant par modestie que par magie. L’existance était déjà si douloureuse, un peu de magie et de mystère ne pouvait que la rendre plus belle.

Belle comme l’intérieur de cette roulotte au parquet sombre légèrement glacé. Des grands rideaux, tableaux, pièces d’arts couvraient la quasi-totalité des murs. Derrière les rideaux étaient cachés des portes, il fallait les pousser pour les aperçevoir. Camélia et Ada avait chacune une chambre décorées avec le goût de la maison, la roulotte avait également une cuisine, une gigantesque salle de bain décorée de feuille d’or et de plantes monstrueusement grandes et feuillues, puis une salle de préparation de potions qui faisait également office de bibliothèque. La pièce dans laquelle se trouvait maintenant le barde et la magicienne était la plus petite.

Alors que ce dernier questionnait la jeune brune, celle-ci se découvrait de son long manteau et de son voile. Dévoilant une belle robe totalement noire dont le corset définissait avec précision la mince taille de la magicienne. Les longues manches montraient légèrement sa peau pâle sous les motifs  floraux de la dentelle. Sa labradorite bleue contrastait avec la peau de son décolleté carré qui laissait aperçevoir la naissance de sa poitrine.

Ada se mis une grande peau de loup grise sur les épaules avant de s’asseoir. Elle répondit à la question de Jaskier en démelant ses longs cheveux noirs avec un peigne un bois :
« Je ne vis pas ici, je suis une cartomancienne intinérante. Nous sommes arrivées à Oxenfurt il y a deux semaines environ mais, nous n’allons pas tarder à repartir si le temps le veut bien. » Sa phrase se termine par un sourire doux et tendre, « Vous pouvez vous asseoir Jaskier, la chaise ne va pas vous dévorer. » Son sourire s’étire, ses yeux se pose sur les cartes qu’elle attrape et commencer à trier.
« Vous ne m’avez pas croisée, hm. Peut-être que vous n’allez pas assez dans les bois mon cher ! » Pendant cette discussion bien banale, Ada réfléchissait à comment elle pouvait faire oublier cette soirée au barde le plus discrètement possible. Après une réanimation, ses pouvoirs étaient plus faible et elle avait déjà fait un petit tri dans les souvenirs de la petite blonde qui accompagnait le barde. Il fallait quelque chose de simple, quasi sans magie… L’haleine du jeune homme fit tout de suite tiquer la magicienne.
« Oh, avant que je vous tire les cartes. Sachez que je rapporte toujours une bouteille des villes où je passe. Je pense qu’un petit verre vous décontracterait, vous êtes… comment dire… un peu sur les nerfs, non ? » Comme une muse, la belle brune se lève et va directement ouvrir un petit buffet bas pour sortir deux bouteilles : un vin Rédanien et un cidre de Skellige.
« Voici mes préférées ! » S’exclame t-elle avant de s’approcher lentement, deux verres en cristal entre les doigts. Ada se poste à côté du barde et se penche délicatement pour poser tout sur la table.
« Lequel vous ferait plaisir, mon cher Jaskier ? »