Sommeil de plomb, lit de plume.

Sitôt Triss suggère-t-elle au batelier un chanson que ce dernier s'y attèle. Géralt, lui, retrousse un peu le nez, coule sur elle un regard bien plus sévère et émet un grognement désapprobateur. Devrait-il lui rappeler qu'il est ici pour l'aider gratuitement ? Ou agir de manière plus mesquine ?
La seconde option semble évidente. À trop fréquenter de sorcières, il s'y est habitué. Alors puisqu'il est question de jouer sur des cordes sensibles, le Loup Blanc fait ce qu'il sait faire de mieux : frapper fort. C'est sans lâcher Triss des yeux qu'il se contente de rajouter quelques mots.

« Et tu termineras sur quelque chose d'épique. Pourquoi pas les Maux de Sodden ? »

Inutile de préciser que l'ambiance de leur petite traversée s'en trouva fortement altérée. Il leur faudra la présence d'un groupe de Cultistes du Feu Éternel pour un semblant d'échange qui n'aurait rien de houleux.

Dans l'ombre, le Sorceleur observait les gros bras sous leurs parures impeccables. Un soudard reste un soudard, pourtant. Et ceux qu'ils avaient devant eux étaient des pointures dans le domaine. Des spécialistes de la chasse à la Sorcière. Combien de femmes ont été torturée et condamnée à tort à cause de ces bourreaux-là ? Difficile à dire. Trop, ça c'était une certitude.

« Pourquoi pas oui. »

Geralt ne voyant aucune autre méthode que la bonne vieille distraction, autant s'y risquer. Et puis, ce plan là lui permettait d'éviter de passer lui-même dans un portail.

« Mais ils sont ici pour enquêter sur la même affaire que nous. Ils n'ont pas d'autre autorité ici. Il va falloir que tu sois particulièrement créative pour qu'ils cherchent à s'en prendre à toi. »

Ses yeux de chat glissèrent vers elle, trahissant qu'il avait retenu une petite pique pour assaisonner la fin de sa tirade. Non, Il n'avait absolument pas aimé qu'elle demande au gnome de chanter précisément cette chanson. Quoiqu'elle avait eut le bon ton de ne pas suggérer l'une des dernières créations de Jaskier au sujet de Zirael. La bateau n'aurait probablement pas atteint la rive.

« Garde un visuel sur la maison si possible. J'ouvrirai la fenêtre et j'y pendrais un linge pour te signifier que tu peux te téléporter dans la pièce. »

C'est sans rien dire de plus donc, qu'il s'effaça et la laissa libre de choisir sa manœuvre. Il longea un peu les quais de son côté, et s'enfonça dans une ruelle misérable et puante où l'on avait entassé des morts en attendant que le chariot des croques-morts ne vienne les prélever. Une chance que ses mutations l'insensibilisaient aux maladies. Et encore... il n'hésita pas un seul instant à verser le contenu d'une de ses fioles sur ses propres vêtements. Un répulsif contre les insectoïdes. Il se souvenait que lorsqu'ils avaient croisés un village ravagé par la Mort Rouge en compagnie de Zoltan et de la hanse, Régis leur avait expliqué ses théories sur les puces comme vecteur d'épidémie.

Tant pis, il sentirait fort la menthe et l'eucalyptus dans les heures à venir.

Quand il finit par déboucher à nouveau sur l'avenue principale, les cris de colère des sbires fanatisés lui indiquèrent que Triss avait su faire mouche. Ni une, ni deux, il sortit de l'ombre, passa le portail et le referma derrière lui après avoir utilisé un de ses signes sur le valet qui se tenait de l'autre côté afin de le convaincre de ne surtout pas laisser ses crapules religieuses entrer après lui. Se faisant, il pénétra les  lieux, vide. En haut, une assemblée se trouvait au chevet de la malheureuse. Un Inquisiteur du feu Eternel était déjà sur place, ainsi que d'autres enquêteurs indépendants. Geralt, lui,  ne s'annonça pas et fila même dans le couloir jusqu'à déboucher dans la grande chambre des maîtres. Personne à la ronde, il s'empressa d'aller ouvrir grand la fenêtre. Peu enclin à faire dans la délicatesse, il arracha l'un des grands rideaux qu'il suspendit dehors, espérant que Triss verrait le signal et qu'elle le rejoindrait.

Loin d'être idiot, puisqu'il en connaissait un rayon en matière de portail, il se décala dans un coin de la pièce pour s'y adosser, bras croisés, attendant que le vortex apparaisse, non sans une simple petite grimace de dégoût d'anticipation. La simple présence d'un pareil conduit magique le faisait grincer des dents. Son médaillon commença d'ailleurs à s'agiter. Un petit vent anormal commençait à siffler. Triss arriverait d'une seconde à l'autre.